

Quels moyens pour quel service public ?
La commission culture, éducation et communication du Sénat, présidée par Jean-Raymond Hugonet (LR), en présence de Monique de Marco (EELV) a organisé une table ronde avec les syndicats de FTV dans le cadre du débat sur le projet de Loi de finances 2022.
L’occasion pour la CGT d’exposer son analyse de la situation et quelques-unes de ses revendications.
Le nerf de la guerre
La CGT s’inquiète de l’absence de perspective après l’élection présidentielle d’avril 2022. Qu’en sera-t-il de la redevance dont l’outil de perception (la taxe d’habitation) doit disparaître en 2023 ? Comment préparer l’avenir de FTV sans garantie d’un financement pérenne et dynamique ?
La situation apparaît d’autant plus dangereuse que le débat sur la redevance revient au premier plan. Quid de la mission sur la redevance lancée par le 1er ministre dont les conclusions sont attendues pour avril 2022 ?
L’extrême-droite fait resurgir le spectre de sa suppression pure et simple après G.Darmanin qui proposait de l’intégrer au budget général de l’État tandis que V.Pécresse, elle, s’interroge sur le fait que les gens qui payent la redevance ne regardent plus la télévision…
Pour la CGT, la réponse est évidente. Non seulement il faut maintenir la redevance (une des plus faibles d’Europe) mais il faut la conforter en l’élargissant à tous les supports afin de répondre à la question des nouveaux usages.
Canal 14 : qui va payer la facture ?
La ressource publique va-t-elle encore baisser en 2022 alors que FTV subit déjà depuis 2018 un plan d’économies d’une ampleur inédite de plus de 400 M€ sur la période ? L’Assemblée nationale a ainsi proposé une diminution de 0,6% de la part de redevance de FTV, dans un contexte d’inflation de plus de 2%, soit une baisse de ressources publiques de l’ordre de 70 M€.
L’entreprise va-t-elle devoir financer la poursuite de France 4 et CultureBox sur le canal 14 sans ressources supplémentaires ? Pour la CGT, l’État actionnaire doit assumer le maintien de France 4, suite à la décision d’Emmanuel Macron de maintenir la chaîne… après avoir entériné sa suppression.
Au-delà du fait du prince qui pose question, le canal 14 de France 4, c’était au moins 15 M€ à trouver en 2021, plus 5 M€ pour Culture box. En année pleine, ce sera beaucoup plus, de l’ordre de 25 à 30 M€.
Qui va payer la facture des 100 M€ de charges supplémentaires ? Quels programmes va-t-il falloir supprimer ? Les projets stratégiques de l’entreprise comme la régionalisation de France 3 ont-ils encore un avenir dans un tel contexte ?
Salto bousculé par la fusion TF1/M6
L‘impact de Salto va peser lourdement sur la trésorerie de FTV, à hauteur de 25 M€ environ, mais au-delà, la question se pose du devenir de la plate-forme dans le cadre de la fusion TF1/M6 (dont Delphine Ernotte s’est paradoxalement réjouie).
La CGT a fait part aux sénateurs de ses craintes d’une marginalisation de l’audiovisuel public sur le marché des droits face à ce nouveau « champion national » bichonné par la Macronie.
La CGT a aussi fait part de son étonnement face aux partenariats noués par FTV avec les Gafam. L’annonce d’une co-production entre Amazon et FTV sur une série « Cœurs noirs », consacrée aux forces spéciales françaises engagées en Irak, (en attendant d’autres projets du même type) apparaît pour le moins incongrue.
Est-ce ainsi que FTV entend lutter contre l‘hégémonie des plates-formes américaines et défendre les valeurs du service public ?
Détention des droits, industrie de programmes
La CGT a de nouveau plaidé pour mettre enfin un terme aux Décrets Tasca qui spolient les diffuseurs depuis des décennies de leurs droits de propriété au profit des producteurs privés. FTV doit pouvoir détenir les droits des programmes qu’elle finance très majoritairement. Les 17,5% actuels sont très insuffisants. Elle doit pouvoir développer sa capacité de produire en interne, son industrie de programmes, et en tirer des ressources additionnelles, à l’instar de la BBC qui n’est pas limitée dans la détention de ses droits.
C’est une des façons pour le service public de faire face aux Gafam, sans quoi il n’y aura pas de vraie vision stratégique de l’État actionnaire.
A ce sujet le sénateur Hugonet a souligné que le Sénat avait mené une action lors des débats sur la Loi audiovisuelle en faveur d’un rééquilibrage entre diffuseur et producteurs. Le contexte qui a vu l’adoption des décrets Tasca en 1988 n’est évidemment plus du tout le même aujourd’hui, a-t-il justement souligné et « cette piste est dans notre radar ».
Transformations à la hussarde…
La CGT est revenue sur l’arrêt de la filialisation forcée de la production des émissions de flux, après la tentative de suicide d’une salariée de Télématin. Une expertise est en cours avec le cabinet Secafi Alpha, suite aux procédures déclenchées par le CSE du Siège et le CSE Central, pour comprendre ce qui s’est passé.
L’objectif stratégique de renforcer la filiale FTV Studio ne peut se réduire à un jeu de vases communicants, en déshabillant FTV de ses émissions historiques pour habiller FTV Studio.
On peut parfaitement développer FTV Studio en ré-internalisant la production des fictions, séries, documentaires, captations de spectacles vivants, en y associant notre outil de fabrication, qui a montré son savoir-faire et son expertise et qui doit servir de référence sociale pour l’ensemble du secteur.
Il semble que le véritable but de ce projet était de transférer, sans coup férir, les 85 salariés de FTV SA vers sa filiale, en contradiction avec l’Accord-cadre du 7 mai 2019 sur le déploiement du projet d’entreprise qui prévoyait au contraire de ré-réinternaliser les émissions de flux au sein de FTV SA.
…engendrant de graves risques psychosociaux
La CGT a évoqué l’inquiétante montée des risques psychosociaux, repérable en de nombreux secteurs de l’entreprise, en raison des multiples chantiers de transformation que la direction entend mener tambour battant, au détriment des collectifs en perte de repères.
FTV s’emploie à mener une politique d’économies mortifère, à compter et recompter sans cesse les ETP, pour réduire les effectifs, « quoi qu’il en coûte » pour nos missions de service public et pour les conditions de travail et de vie des salariés.
Ce qui met en cause les engagements de la direction, inscrits dans l’Accord du 7 mai 2019, sur les recrutements des profils nouveaux pour accompagner la transition numérique, dans les fonctions opérationnelles, et sur la dé-précarisation des salariés non permanents « historiques ».
La nouvelle mandature de D.Ernotte est ainsi marquée par une forme d’unilatéralisme et de mise à mal du dialogue social que dénonce la CGT.
Des besoins d’investissement décuplés
D’autant que les moyens manquent cruellement pour affronter les défis du virage numérique et ses besoins d’investissement, pour accompagner les nouveaux usages et retrouver tous les publics sur tous les supports.
Les moyens manquent pour affronter sans faux-semblant le grand chantier de la régionalisation, tant dans l’hexagone que dans les outre-mer, où le pacte de visibilité semble faire du surplace.
Les moyens manquent pour garantir l’indépendance et le pluralisme de l’information contre la prolifération des fake news, le relativisme et le complotisme ambiants.
Les moyens manquent pour faire face à la montée des périls, incarnée par Eric Zemmour et l’Extrême droite, bénéficiant sans vergogne de la force de frappe des médias de Bolloré.
Régionalisation dans l’ornière
Quels moyens pour concrétiser les ambitions affichées en matière de régionalisation et de pacte de visibilité des Outremer ?
A la question du sénateur Hugonet sur le rôle du service public et le désamour d’une partie du public, la CGT a mis en évidence le lien entre le recul du service public dans les territoires et le fossé qui s’est constaté lors de l’épisode des Gilets jaunes, entre « ceux qui restent », privés de services publics de proximité et une télévision régionale perçue comme trop éloignée de leurs réalités.
Comment redevenir le miroir de ces réalités du terrain en redonnant la parole à ceux qui y vivent et qui en sont les acteurs ? Certainement pas en nourrissant les chimères d’un « toujours plus avec beaucoup moins » de moyens humains, matériels et financiers, ou de nouvelles synergies avec France Bleu. Tout cela vise une fois encore à optimiser des moyens insuffisants sur le dos des emplois et des conditions de travail, ce qui explique l’enlisement du projet actuellement présenté aux instances.
A la veille des arbitrages sur le budget 2022 et d’une élection présidentielle déterminante, la CGT réaffirme l’impérieuse nécessité pour le service public de reprendre la place qui lui revient, seul moyen de lui redonner sa pleine légitimité.
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Paris, le 9 novembre 2021 |