Fin 2022, les élus du CSE Central de FTV étaient convoqués en séance extraordinaire afin de se prononcer sur le budget 2023 de l’entreprise ainsi que sur la prolongation du COM (contrat d’objectifs et de moyens) pour 2023, le temps de pouvoir négocier celui de 2024-2028. L’enjeu à venir est bien évidemment le mode de financement de l’audiovisuel public et son niveau, dont dépend l’avenir de notre entreprise et de ses salariés.
Budget 2023 de France Télévisions
C’est le 1er budget de France Télévisions depuis la suppression de la redevance. Un budget à fort risque soumis aux effets ravageurs de l’inflation : un surcoût estimé par l’entreprise à 61 M€ qui pourrait se révéler bien en deçà de la réalité.
Évidemment, comme il fallait s’y attendre, ce surcoût n’est pas compensé par l’État, ce qui fait qu’une fois de plus l’entreprise va devoir trouver 40 M€ pour finir à l’équilibre.
La direction table sur plusieurs leviers :
- 10 M€ supplémentaires de chiffre d’affaires publicitaire, ce qui paraît très ambitieux et incertain dans un marché atone, même si la régie publicitaire de France Télévisions est plus dynamique que le reste du secteur.
- 20 M€ d’économies sur le programme national, en étalant les diffusions et donc en augmentant le stock.
- 10 M€ d’économies supplémentaires, en particulier par le biais d’une nouvelle baisse de 95 ETP (équivalents temps plein), dont la direction dit qu’ils ne sont pas fléchés vers telle ou telle entité. Cela pourrait être obtenu mécaniquement par les délais de comblement de postes aujourd’hui vacants, du fait de la fin du plan RCC (Rupture Conventionnelle Collective) le 31 décembre 2022.
- Pour exemple : un poste pourvu au 30 juin ne compte que pour 0,5 ETP puisqu’il ne sera compté dans les effectifs que sur une demi-année. Cet effet mécanique sera effectif dès le 1er janvier 2023 par le simple fait de la sortie des effectifs de salariés partants dans la RCC au 31 décembre mais déjà remplacés par des CDD dans leur service.
Pour le grand argentier de France Télévisions, Christian Vion, il s’agit d’un « budget de transition, un peu précaire », que l’entreprise ne pourra pas réitérer sans affecter son offre de contenus. Ainsi les 440 M€ (hors cinéma) investis chaque année dans les programmes de création ne pourront certainement pas trouver une place sur nos grilles de programmes en 2023 pour ne pas dégrader le bilan financier. Une partie sera stockée en attendant. Pour Delphine Ernotte, si la conjoncture devait encore se dégrader (inflation supérieure aux prévisions, chiffres d’affaires de pub moindre), France Télévisions se retrouvera en déficit, ce qui n’est pas arrivé depuis 2015.
On notera que le coût de grille augmente dans le réseau régional et pour le Pôle Outre-mer, mais il s’agit quasi exclusivement de l’effet de l’inflation sur la masse salariale, sans moyens supplémentaires pour financer les développements.
A contrario le plan de charge de la Fabrique est en baisse ; la direction l’a aligné sur le niveau réalisé en 2022, qui fut pourtant une mauvaise année pour la Fabrique. Les élus CGT ont dénoncé cette orientation qui entretient toutes les craintes sur l’avenir des moyens internes de fabrication.
Les élus du CSE Central ont donc voté un avis négatif sur le budget.
Voir aussi le compte-rendu de la commission économique.
Projet d’avenant au contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2023
Les élus du CSEC étaient également amenés à se prononcer sur l’avenant 2023 au COM 2019-2022. En effet, faute d’avoir anticiper le renouvellement du COM, l’État a été contraint de proroger d’un an le COM actuel pour se laisser le temps de discuter les futurs axes stratégiques du COM 2024-2028 et la trajectoire financière de l’entreprise. Il y a urgence car l’entreprise est actuellement dans une forme d’indécision stratégique qui rend difficile la définition d’un nouveau cap dans un univers en plein bouleversement. Et les salariés ont cruellement besoin d’une clarification de leur avenir.
Pour la CGT les enjeux sont de taille. Il s’agit d’abord et avant tout de stopper la spirale infernale des économies et de la réduction des effectifs, moins 15% en dix ans. Peu de services publics ont réalisé une telle purge en gardant leur niveau de service. Nous en voyons malheureusement les effets au quotidien avec de graves problèmes de conditions de travail et un absentéisme qui a explosé à FTV à plus de 7,5%.
Pour la CGT, l’actionnaire doit être bien conscient que nous n’accepterons pas la poursuite de la baisse des effectifs. L’enjeu principal sera bien d’abord et avant tout celui du mode de financement et son niveau.
La Présidente voit 3 options possibles pour le financement :
- Un scénario à l’espagnoleavec une budgétisation. Comme cela est le cas dans tous les pays qui ont opéré une telle réforme, il faut s’attendre à une baisse de budget immédiate d’au moins 25% avec des missions amputées. Et avec le risque majeur de voir un service public incapable de rester le lieu du débat public commun. Comme c’est le cas aux États Unis, on pourrait alors voir gonfler les bulles informationnelles des chaines d’opinion, avec les conséquences que l’on sait.
- Un statu quo à mission constante. Cela nécessiterait malgré tout une évolution substantielle du budget qui, pour la CGT, devra comprendre un important volet salarial afin de rattraper les pertes liées à l’inflation depuis plusieurs année et se mettre au niveau du secteur, en particulier sur le numérique.
- Un scénario à l’allemande, avec un retour d’une redevance à la hausse et un objectif de lutte massive contre le complotisme et la désinformation. Et cela n’est pas qu’une question financière, c’est aussi la nécessité de pouvoir disposer d’un arsenal législatif pour protéger les droits sur les évènements sportifs, donner plus de droits à FTV sur les contenus qu’il finance et pouvoir maitriser le débat dans l’espace démocratique. La CGT soutient évidemment ce 3ème scénario.
Si l’État veut poursuivre les économies il va falloir qu’il assume de supprimer des missions et qu’il dise publiquement lesquelles. Et nous lui promettons une réaction hors norme des salariés.
Les élus ont rendu un avis très argumenté sur cet avenant au COM, qui reconduit globalement les axes stratégiques actuels et les niveaux des indicateurs d’évaluation. Les élus ont adopté cet avis à l’unanimité et ont pointé en particulier un manque de sincérité de cet avenant qui indique « une trajectoire financière intégrant le financement des surcoûts liés à l’inflation » alors que le budget indique un surcoût non financé à hauteur de 40 M€. Un comble !
Par ailleurs, les élus préconisent que le futur COM soit plus volontariste sur le recours prioritaire aux moyens internes de fabrication de France Télévisions et que le cahier des missions et des charges de FTV intègre « une mission d’aménagement audiovisuel du territoire de l’entreprise », « qu’une réflexion soit engagée en ce sens dans les discussions pour l’élaboration du futur COM afin de pérenniser et développer les sites de La Fabrique à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse et Vendargues. »
Car l’enjeu est de taille, il en va de la survie des viviers de professionnels du secteur en régions qui œuvrent à la richesse culturelle de notre pays. Les élus préconisent également « des objectifs sociétaux ambitieux pour l’ensemble de nos territoires, en particulier en Outremer, qui ne disposent pas ou très peu de moyens de production et de fabrication. »
Enfin, sur la création audiovisuelle et cinématographique, 500 M€ d’investissements annuels, les élus demandent un financement adapté à la hauteur de cette ambition et, comme il s’agit d’argent public, que « l’entreprise puisse détenir les droits sur les œuvres qu’elle finance, à due proportion de son investissement. »
Les élus font d’autres préconisations dans la perspective du futur COM 2024-2028 sur la proximité, les enjeux climatiques ou le développement des ressources propres.
Et dans les débats en séance, ils ont insisté sur les carences de l’entreprise en matière de métiers du numérique. La ressource est rare, donc chère, et l’un des enjeux est de pouvoir réaliser des reconversions internes sur ces métiers. L’attentisme de l’entreprise en matière de GPEPP sur ce dossier n’est pas rassurant.
2023, l’année de tous les dangers
2023 est l’année qui verra resurgir le débat sur le mode de financement de l’audiovisuel public et au cours de laquelle sera défini notre avenir pour les 5 ans qui viennent.
Dans un contexte politique compliqué du fait de l’absence de majorité à l’Assemblée Nationale et dans un contexte social particulièrement tendu, le débat sur le mode de financement et son niveau va être difficile.
La CGT est d’ores et déjà très active pour défendre l’audiovisuel public, ses missions, son financement et son besoin d’indépendance. Nous ne laisserons pas le pouvoir en place engager le rabougrissement du service public sans une réaction de grande ampleur si besoin.
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Paris, le 10 janvier 2023 |