Les élus du CSE Central de France Télévisions étaient réunis en séance extraordinaire ce 14 février, à leur demande, suite à la révélation dans la presse d’un projet de rapprochement de France 3 avec France Bleu. Celui-ci laisse craindre la perspective d’une fusion des deux structures et toutes ses conséquences sociales, à commencer par la perte des protections de l’accord collectif de FTV.
Fusion France 3 - France Bleu ?
Au cours de cette séance, la direction a répété à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas de projet de fusion entre les réseaux de France 3 et de France Bleu, sans pour autant clarifier un certain nombre de questions fondamentales et structurantes qui se posent à la lecture de la note élaborée par les présidences de FTV et de Radio France, intitulée « Offres d’information et de proximité : vers une offre de l’audiovisuel public conquérante et convergente » et adressée à la ministre de la Culture :
« La mise en œuvre d’un projet éditorial commun à cinq ans entre les antennes régionales de France Bleu et de France 3 », au détriment de l’autonomie éditoriale de chacun des partenaires. La direction a beau jeu d’affirmer que cela ne concernerait pas les JT alors que la note indique que le projet concerne tous les genres (information, économie, sport, culture, environnement, etc…), tout en fixant comme ligne éditoriale « une tonalité éditoriale joyeuse et apaisante ». Sur ce point, la Présidente a reconnu une maladresse bien que le Directeur des antennes et des Programmes ait dit juste avant que chaque mot de cette note avait été « soigneusement pesé ».
« La création de directions territoriales uniques », dont la direction affirme qu’elles ne se substitueraient pas aux actuelles directions, mais dont elle ne peut préciser le statut en termes de structure. Elle se borne à indiquer qu’il ne s’agirait que de coordination entre France 3 et France Bleu. La direction va-t-elle plaider auprès des ministères la création d’une structure d’encadrement supplémentaire ?
« Le développement de la polyvalence au sein de nos équipes », avec l’annonce d’investissements techniques, notamment dans des « studios bi-usages », ce qui, ajouté à la mise en place d’un « schéma immobilier partagé » fait craindre à moyen terme une intégration des équipes au sein de structures uniques. Et donc, disons-le clairement, une fusion pure et simple des deux structures.
La volonté des présidentes « de franchir de nouvelles étapes décisives dans le rapprochement de France 3 et France Bleu ». Ces orientations vont donc bien au-delà des coopérations jusqu’ici mises en œuvre entre les deux réseaux sur des opérations exceptionnelles ou des émissions.
Fait aggravant, une version projet de cette note stratégique indique que les polyvalences permettront de « dégager des économies d'échelle ». Certes cela ne figure plus dans la note signée, mais cela prouve qu’il s’agit bien d’un sujet discuté entre les deux directions. En ce sens, les propos de la Présidente de FTV en CSE Central sur des discussions avec l’Etat pour définir « une trajectoire financière soutenable », nous inquiètent. Soutenable pour qui ? Pour l’Etat ou pour les salariés ? S’il s’agit de négocier un nouveau plan de réduction des effectifs, ce sera une nouvelle trahison des personnels après que la Présidente a affirmé publiquement que nous étions au bout des économies sur l’emploi.
Pour la CGT, cette note est bel et bien une évolution significative du projet stratégique de l’entreprise et nécessite qu’une information loyale et complète soit transmise en amont aux élus du CSEC, en vue d’une consultation. Nous avions d’ailleurs demandé pour le CSEC de décembre 2022 l’ouverture de cette Information-Consultation sur les nouvelles orientations stratégiques mais la direction répondait alors que c’était trop tôt.
Les élus n’ont donc pas apprécié d'être mis devant le fait accompli et ont adopté une résolution afin de mener une étude juridique sur la situation et pouvoir, le cas échéant, saisir le juge si l’entrave aux prérogatives du CSE Central était caractérisée.
Quid de Tempo ?
Pour la CGT, ce projet de rapprochement France 3-France Bleu percute significativement le projet Tempo et il va falloir aux élus du temps pour démêler les incidences croisées de ces deux projets qui s’entrechoquent.
La direction, sur la défensive, affirme qu’il n’y a aucun rapport entre les deux projets. Pourtant, d’un côté, elle plaide en faveur du rapprochement avec France Bleu au nom du développement des programmes de proximité qui sont particulièrement prisés par les téléspectateurs, de l’autre elle conduit à travers Tempo un projet qui vise à diffuser des sujets nationaux et internationaux dans les éditions régionales de France 3, ce qui semble laisser moins de place au fait local et régional. Est-ce à dire que Tempo est un leurre et qu’à terme il n’y aura plus que des sujets locaux et régionaux dans nos éditions régionales ? Et que tout cela est juste un habillage pour supprimer les éditions nationales de France 3 ? Ces contradictions apparentes montrent bien les frottements stratégiques et les impacts croisés entre les deux projets.
Pour obtenir le temps de cette analyse, les élus ont mandaté le secrétaire pour ester en justice sur le projet Tempo afin d’obtenir la suspension du projet « dans l’attente de la fourniture des éléments d’information précis sur les incidences du nouveau projet de rapprochement des deux réseaux. » Car en l’état on imagine bien que l’équipe projet Tempo, qui n’était apparemment pas au courant du projet de rapprochement France 3-France Bleu, aura le plus grand mal à tenir la ligne de la direction qui affirme que les deux projets n’ont rien à voir.
Un nouveau plan d’économies et de suppression de postes ?
Si sur le fond nous n’avons aucun problème pour travailler avec nos collègues de Radio France, le risque majeur est social, quel que soit le niveau d’intégration décidé pour les deux réseaux. Dans le scénario le pire, le regroupement des équipes dans une filiale commune aura pour conséquence la perte de tous nos accords collectifs et la renégociation d’une nouvelle convention collective à partir d’une page blanche et naturellement moins-disante. Avec la menace permanente, en cas d’échec des négociations, d’une bascule des personnels techniques et administratifs sur la convention collective de branche de la télédiffusion à peine mieux-disante que le Code du travail.
Sans aller jusqu’à la fusion ou la filialisation, le développement généralisé des polyvalences, afin, nous dit la présidente, de développer notre présence sur le territoire, repose sur le principe de salariés à tout faire, soumis à une intensification du travail et à de nombreux risques psychosociaux, comme la perte de sens au travail ou la qualité empêchée.
Quel que soit le scénario, il s’agirait d’un recul social considérable pour les salariés avec de profondes dégradations des conditions de travail. Et de grosses économies pour l’Etat sur le dos du corps social, avec la complicité de directions d’entreprise dociles. S’engager sur cette voie provoquerait un conflit social majeur.
Lors des réunions extraordinaires de ce mardi, côté FTV comme côté Radio France, les élus ont entendu leurs directions assurer qu’il n’y avait pas de projet de fusion, tout en affirmant qu’elles appliqueraient les décisions politiques.
La balle est donc désormais du côté du ministère de la Culture. Nous demandons à la ministre de se prononcer très clairement sur le sujet maintenant que des propositions stratégiques lui ont été transmises.
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Paris, le 15 février 2023 |